Une foule très encadrée pour un spectacle très encadré
LE MONDE | 09.08.08 | 12h13 • Mis à jour le 09.08.08 | 12h13
Pékin, envoyés spéciaux
Vingt heures, vendredi 8 août, les rues de Pékin sont désertes. Devant les grandes portes rouges du parc Ditan, où la cérémonie d'ouverture des JO est retransmise sur deux écrans géants, quelques attardés se heurtent à des policiers intraitables. Pas question d'entrer avant la dernière note de l'hymne national. Les sacs sont scannés sous le portique, les briquets confisqués. Les policiers en gants blancs sont partout dans la foule. Il y a là un millier de spectateurs, dont beaucoup d'étrangers.
Les Pékinois sont restés chez eux, devant leur téléviseur, en famille ou entre amis. Par tradition, mais aussi dissuadés de sortir par les restrictions à la circulation et le dispositif massif de sécurité déployé dans la capitale.
Dans une chaleur d'étuve, on s'égaille sur les pelouses alentour, les dames agitent leur éventail, les messieurs remontent le T-shirt sous les aisselles, à la pékinoise. Deux jeunes en short agitent leurs petits drapeaux rouges étoilés. Zhang Mo et Ji Ren ont 24 ans et vendent des logiciels. Ils tiennent à dire en anglais cette mantra de la soirée : "C'est un moment très important pour la Chine." Sur les écrans, la masse des figurants forme le caractère "he", harmonie. "Une pure exposition de la culture chinoise", commentent les deux jeunes. Les drapeaux ? On les leur a offerts dans un magasin.
Quatre kilomètres au sud, la place Tiananmen est bouclée depuis le matin. "Pas question de laisser rentrer trop de monde, raisons de sécurité", explique un policier. Un grand jeune homme au T-shirt mauve échancré a fait la queue depuis 7 heures du matin et n'a pu entrer sur la place qu'à 21 heures. Il s'appelle Ren Xiaoming : 21 ans, contremaître dans une aciérie. C'est son premier voyage à Pékin, il est "très excité par ce moment historique". Il n'a rien mangé de la journée : aucun marchand n'a été admis dans le saint des saints.
Dans un périmètre bordé de rubans jaunes, de policiers et de soldats, deux femmes entourent un enfant : la grand-mère et sa fille. La jeune mère, 19 ans, porte un foulard noir. Elles sont Hui, musulmanes, et sont venues spécialement pour les JO, vingt-quatre heures de train depuis la province du Qinghai. Tout à l'heure, la chaleur était forte sur les dalles de granit, le mari est sorti du périmètre acheter une bouteille de Coca, mais les policiers ne l'ont pas laisser passer au retour.
A 0 h 13, le feu d'artifice s'achève sur une dernière étoile rouge. Les gens sont contents : tout était très beau. Quelques intellectuels font la fine bouche : Li Hua, enseignante, a trouvé la mise en scène de Zhang Yimou "trop superficielle" - "Des masses de participants et de la high tech. Comme la Chine."
Sur les blogs, on raille le costume rouge et jaune des athlètes chinois, baptisé "tomate et omelette", référence à un plat familial très courant. Mais Ma Mingqi, retraité, a jugé la soirée "excellente, supérieure à tous les réveillons de fête du printemps" qu'il ait vus en 77 printemps.
Ni pluie, ni attentat, ni bavure, un spectacle époustouflant, la première journée des JO les plus chers de l'Histoire a été parfaite. Peut-être manquait-il juste un peu de chaleur - au sens figuré. Zhang Ke, architecte, a une explication pour ça : "On dirait que c'est les JO des organisateurs, pas les JO de tout le monde."
Article paru dans l'édition du 10.08.08.