En Chine, une crise de l'eau tous azimuts
LE MONDE | 11.01.08 | 14h06 • Mis à jour le 11.01.08 | 14h06
SHANGHAÏ CORRESPONDANT
Le lac Poyang, dans la province méridionale du Jiangxi, est le plus grand lac d'eau douce de Chine. Sa surface passe de 3 500 km2 en été, quand les pluies sont les plus abondantes, à environ 500 en hiver. Ces derniers mois, le Poyang, profond de 8 mètres en moyenne, a rétréci à moins de 50 km2, selon plusieurs sources, découvrant une peau craquelée qui rappelle la mer d'Aral dans son pire état.
La sécheresse, qui sévit cet hiver aussi bien dans le nord de la Chine que dans le sud, traditionnellement humide, a exacerbé les déséquilibres du bilan hydrographique chinois : ce qui arrive au Poyang touche à un degré supérieur ou moindre la plupart des dizaines de lacs chinois.
En Chine, la maîtrise des ressources en eau a toujours tenu à la fois de la nécessité économique et de l'atavisme impérial : il y a quatre mille ans, le premier monarque chinois, Yu le Grand, entra dans la légende pour avoir inventé l'irrigation. Dans la Chine féodale, le Grand Canal fut un ouvrage majeur, avant que Mao Zedong ne lance les premiers grands projets de barrages au début de l'ère communiste.
Au XXIe siècle, la profession de foi des nouveaux timoniers en faveur du développement durable ne constitue qu'un maigre contrepoids face aux exigences de l'hypercroissance économique (+ 11,5 % en 2007). Ils sont souvent réduits à gérer en catastrophe les syncopes à répétition d'un organisme surmené, tandis que le manque traditionnel d'eau est aggravé par une surexploitation et une pollution aux dimensions énormes.
PÉNURIES AGGRAVÉES
Avec 7 % seulement des réserves en eau de la planète pour le quart de sa population, la Chine n'arrive pas à faire face : 400 des 600 villes chinoises manquent structurellement d'eau, et 30 millions de ruraux subissent chaque année des pénuries. Un rapport du gouvernement vient de prévenir que "le volume total des ressources en eau exploitable aura été atteint en 2030, même en prenant en compte tous les efforts d'économie de l'eau". Nombre de rivières sont bien plus asséchées qu'elles ne l'étaient il y a des dizaines d'années. C'est le cas du fleuve Jaune et des rivières Hai et Huai, même s'ils connaissent des crues durant la saison des pluies.
Parce qu'elle ne cesse de grossir et parce qu'elle accueille, cet été, les Jeux olympiques, la région de Pékin (17 millions de personnes en incluant les non-résidents) est l'objet de toutes les attentions. Déjà, certaines localités en amont des canaux et des rivières qui alimentent la capitale sont rationnées. Imaginé par Mao et approuvé en 2002, le gigantesque projet de diversion des eaux du sud au nord est en construction dans sa partie Centre et Est. La route centrale transportera de l'eau du réservoir de Danjiangkou, dans le Hubei (sur la rivière Han, affluent du Yangzi), jusqu'à la capitale. Des centaines de lacs ont déjà disparu dans le Hubei, connu comme la province des mille lacs. Mais seule une portion sera prête pour les JO, celle qui acheminera l'eau depuis Shijuazhang, dans le Hebei, à Pékin, tout proche. La province du Hebei manque elle aussi cruellement d'eau.
La route de l'Est, en chantier, doit transporter de l'eau du Shandong vers Pékin et Tianjin, le long de l'ancien Grand Canal. Elle devait être achevée en 2007, mais ne le sera pas avant 2010. En outre, l'eau serait trop polluée et il faudra prévoir de la traiter. Quant à la route de l'Ouest, censée relier le fleuve Bleu au fleuve Jaune sur les plateaux du Qinghai, les défis techniques sont inédits et rien ne commencera avant 2010.
SUREXPLOITATION DU FLEUVE BLEU
Dans ce contexte de crise hydrographique aiguë, la surexploitation du Yangzi, le plus généreux fleuve de Chine et le troisième du monde, est de plus en plus flagrante. En 2007, le dauphin d'eau douce y fut officiellement déclaré espèce éteinte. On détourne le fleuve Bleu pour irriguer les régions sèches de Chine du Nord et on compte aussi sur lui pour drainer 30,5 milliards de tonnes de déchets humains et industriels par an ou pour laver la pollution d'un lac en syncope, le Taihu.
C'est encore le Yangzi qui supporte le barrage des Trois-Gorges (Sanxia Daba), dont les dimensions titanesques (2,3 km de long et 185 m de haut) incarnent le génie chinois en matière hydraulique - à moins que ce ne soit sa folie. Les ingénieurs canadiens chargés, dans les années 1980, d'étudier le projet avaient refusé de se prononcer sur la faisabilité du barrage au-delà de 160 m (l'eau atteint 156 m aujourd'hui et montera à 175 m en septembre).
L'ouvrage, dont le premier des paradoxes est qu'il sert à rééquilibrer le bilan énergétique chinois en faveur du renouvelable, a des effets pervers sur l'environnement surexploité du fleuve. Dont celui de former une gigantesque cuvette d'eaux viciées. S'il permettra un meilleur contrôle des crues dévastatrices, il serait en partie responsable de la prolifération d'algues bleu-vert dans les lacs Taihu et Chaohu.
Les "dangers cachés" de la réalisation ont été pour la première fois évoqués officiellement à l'automne 2007 (par Wang Xiaofeng, le responsable des Trois-Gorges auprès du Conseil d'Etat), puis minimisés : les pressions intenses exercées par cette énorme masse d'eau (39 milliards de mètres cubes à plein) sur les parois instables des vallées englouties contribueraient à une recrudescence des glissements de terrain.
Epine dorsale hydrographique de la Chine, le Yangzi et ses affluents devront supporter une centaine de centrales hydroélectriques en amont de Sanxia Daba, dont celle de Xiluodu, sur la rivière Jinsha dans le Sichuan, qui sera le deuxième plus grand barrage de Chine en 2015.
POLLUTION DES EAUX À UN SEUIL CRITIQUE
Parce qu'il ne se passe pas un mois sans que des dizaines de milliers de résidents soient affectés par des minicatastrophes écologiques qui conduisent à des coupures d'eau courante, la population chinoise est désormais très sensibilisée à la question de la pollution des eaux et à son impact sur sa santé.
En mai 2007, l'implosion de l'écosystème du lac Taihu, saturé par un trop-plein de nutrition dû à la pollution, priva d'eau courante plus de 2 millions de personnes pendant plusieurs semaines. L'agence Chine nouvelle plaça le désastre au deuxième rang des dix événements les plus marquants de l'année 2007 - derrière le 17e congrès du Parti communiste. Le scientifique Zhang Xiaojian, chargé de procéder aux réactions chimiques qui ont aidé à se débarrasser des algues bactériennes, fut l'un des dix lauréats 2007 du prix du Chinois vert, décerné depuis trois ans par les ministères concernés.
On aurait pu distinguer Wu Lihong, le militant écologique qui, depuis dix ans, fait la guerre aux usines chimiques de Yixing, la vaste zone industrielle sauvage en bordure du lac. Le pouvoir local, furieux, l'a jeté en prison pour quatre ans, en mars 2007.
A l'heure de la "civilisation écologique" défendue par le président Hu Jintao, toute la difficulté réside dans la prévention, mais aussi dans l'application des mesures et lois censées protéger ses fleuves et rivières. Auteur d'une carte de la pollution de l'eau qui fait référence, Ma Jun, le directeur de l'ONG pékinoise Institute of Public & Environmental Affairs, estime que "la pollution de l'eau est l'un des problèmes les plus graves auxquels la Chine est confrontée".
Les deltas de la rivière des Perles (région de Canton) et du Yangzi (région de Shanghaï), à eux deux responsables des deux tiers du PIB chinois, paient un tribut écologique très lourd, et largement sous-estimé, à un développement industriel intense. Dans ces campagnes et ces villes autrefois sillonnées de canaux, des dizaines de "villages du cancer" défraient régulièrement la chronique.
Le sud de la Chine en vient de plus en plus à manquer d'eau en raison de la pollution : l'Institut de géographie de Canton s'alarmait récemment des problèmes de gestion des eaux usées et estimait que si rien n'est fait d'ici à 2020, la pénurie affectera la moitié de la demande en eau du Guangdong, contre 14 % aujourd'hui.
Brice Pedroletti
Article paru dans l'édition du 12.01.08.
登録:
コメントの投稿 (Atom)
ブログ アーカイブ
-
▼
2008
(89)
-
▼
1月
(16)
- Le centre et le sud de la Chine paralysés par la n...
- Les stars chinoises font trop d'enfants
- Emotion après la mort du "citoyen reporter" chinoi...
- La censure sur Internet : Etats contre cyberdissid...
- Pour Amnesty International, Internet est le nouvea...
- Des centaines de membres du PC chinois exclus pour...
- L'inflation pousse Pékin à un sévère contrôle des ...
- Un dirigeant d'Areva retenu deux mois contre son g...
- Le fleuve chinois Yangtzé subit de plein fouet la ...
- La Chine, nouvelle terre de milliardaires
- L'Inde veut renforcer sa relation avec la Chine
- A Shanghaï, les "cols blancs" manifestent contre l...
- Pékin traque les opposants avant les Jeux olympiques
- En Chine, une crise de l'eau tous azimuts
- L'excédent commercial de la Chine a atteint un nou...
- Le réveil des exploités de Shenzhen
-
▼
1月
(16)
0 件のコメント:
コメントを投稿