Comment la police a décidé d'agir devant les caméras de télévision
LE MONDE | 08.08.07 | 16h40
PÉKIN CORRESPONDANT
L'affaire du scandale des briqueteries a éclaté en mai grâce, une fois n'est pas coutume, à un scoop d'une télévision régionale de la province du Henan. La presse a beau être muselée en Chine, certains courageux reporters n'hésitent pas, à condition d'éviter des dérapages trop "politiques", de porter la plume dans les plaies du malaise social en Chine. Fu Zhenzhong, le reporter de cette télévision, que certains articles dans la presse aux ordres ont ensuite encensé, le qualifiant de "grand journaliste d'investigation", a ainsi "sorti" l'affaire, révélant que des usines de briques clandestines auraient réduit à l'esclavage leurs employés.
Au mois de juin, coup de tonnerre sur Internet : 400 parents de cette même province du Henan diffusent une lettre ouverte sur la Toile, affirmant être sans nouvelles de leurs enfants, pour la plupart des adolescents. Ils redoutent que leurs fils n'aient été les victimes de la "mafia des briqueteries". Le 10 du même mois, la police se décide à agir après être restée sourde aux appels des parents en détresse : la télévision nationale diffuse alors des images d'une descente de police dans les briqueteries où des travailleurs esclaves sont "affranchis".
Cinq jours plus tard, le président chinois, Hu Jintao, et son premier ministre, Wen Jiabao, réagissent publiquement, exigeant qu'une enquête soit ouverte. La nouvelle s'étale en "une" de tous les journaux : 570 esclaves ont été libérés, dont 41 enfants âgés parfois d'une dizaine d'années. Cent soixante personnes ont été arrêtées, 95 responsables du Parti communiste ont reçu des blâmes ou ont été exclus du parti.
AVANT LES JEUX OLYMPIQUES
Le pouvoir serre ensuite la vis aux médias : ordre est donné aux journalistes, comme souvent en pareil cas, de ne plus évoquer cette bien embarrassante affaire pour la nation hôte des Jeux olympiques, un an avant l'événement. Les parents des victimes et les victimes elles-mêmes, ainsi que leurs avocats, doivent également se taire. Le régime s'est servi de l'affaire pour montrer sa volonté de lutter contre les mafieux, mais point trop n'en faut.
L'heure est désormais à la justice ; le couperet va tomber : le 17 juillet, un homme de main qui avait tué un employé handicapé mental est condamné à mort. Un contremaître, à la prison à vie. Un patron, fils du responsable local du parti, en prend pour neuf ans et son père est rayé des cadres. Mais déjà, des murmures s'élèvent chez les mauvais esprits de la "société civile" chinoise, professeurs, intellectuels, journalistes : si un tel scandale a pu se produire, c'est bien parce qu'il y a eu collusion entre la police, de hauts responsables régionaux du parti et les réseaux mafieux. Les vrais coupables, dissimulés dans des replis plus secrets de la hiérarchie d'un système de forbans, n'ont pas été punis.
Bruno Philip
Article paru dans l'édition du 09.08.07.
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