2008年3月1日土曜日

Le réveil des exploités de Shenzhen

Le réveil des exploités de Shenzhen
LE MONDE | 09.01.08 | 14h56 • Mis à jour le 29.02.08 | 16h05
SHENZHEN ENVOYÉ SPÉCIAL


AFP/PETER PARKS
Des ouvrières dans une usine de jouets dans la ville de Shenzhen (Chine) en octobre 2002.


Sur son lit d'hôpital, la jambe pansée qui chauffe sous une lampe, Huang Qingnan raconte l'attaque dont il a été victime le 20 novembre 2007. "J'ai senti une douleur à la jambe et j'ai vu un type qui tenait quelque chose dans un journal. Puis je me suis écroulé." Deux attaquants lui avaient tailladé la jambe avec un couteau alors qu'il discutait dans une ruelle adjacente au local de Dagongzhe, la petite organisation qu'il anime dans l'arrondissement de Longgang, à Shenzhen. La blessure est grave, infectée, au point que les médecins se demandent si ses agresseurs n'ont pas pris soin de salir les lames avant l'attaque.

Avec ses immeubles bas, ses rues poussiéreuses, ses échoppes et ses milliers de petites usines, Longgang est l'une des arrière-cours de Shenzhen. Dagongzhe, dont le rideau en métal vert est baissé depuis l'incident, accueille des travailleurs migrants et les informe sur leurs droits. Le jour de notre visite, un ouvrier du bâtiment est là, le pouce boursouflé, qui vient demander conseil.

C'est un autre incident, terrible, qui décida de l'engagement de Huang Qingnan au service de ces paysans venus des quatre coins de Chine pour faire tourner l'"atelier du monde" : en 1999, il se réveille une nuit en hurlant dans le dortoir de l'usine où il travaille comme contremaître. Son nez et ses paupières fondent. On a versé sur son visage de l'acide qui le défigurera à vie. Il a toujours soupçonné l'un de ses supérieurs, furieux qu'il prenne le parti des ouvriers lors d'une dispute. Il fit un procès qui ne mena à rien, si ce n'est la prise en charge de ses frais hospitaliers. Des ONG de Hongkong l'aidèrent à monter une petite clinique. "On s'est aperçu que les gens avaient moins besoin de soins médicaux que d'informations sur leurs droits, et Dagongzhe est né", dit-il.

Or l'entrée en vigueur, le 1er janvier, d'une loi sur le contrat de travail, qui oblige, notamment, un employeur à accorder un CDI à ses employés depuis plus de dix ans, a exacerbé les tensions à Shenzhen. "Depuis octobre, on a vu de plus en plus de gens venir en groupe. Dans un cas, 90 personnes se sont mises en grève dans une entreprise qui en comptait 100. Les ouvriers ont nos brochures. Ils s'en servent quand des employeurs cherchent à profiter d'eux. J'ai senti que tout ça avait plus d'impact", dit-il. Ses soupçons se portent sur l'une des entreprises dont il a conseillé les employés. A deux reprises, au cours des semaines précédant l'attaque, des inconnus avaient saccagé le local de Dagongzhe.

Zone pilote pour l'introduction de l'économie de marché dans les années 1980, Shenzhen est désormais à la pointe des conflits sociaux tant les tensions accumulées sont explosives : les salaires y sont les plus élevés de Chine mais les conditions de travail très rudes. "D'après nos sondages, 40 % des ouvriers n'ont pas de jour de congé hebdomadaire", estime Liu Kaiming, qui dirige l'Institute of Contemporary Observation (ICO). Celui-ci forme des travailleurs migrants, installe des numéros verts et publie des études sur les conditions de travail, dans le cadre, entre autres, d'audits sociaux commandés par des multinationales. "Il y a une forte pénurie de travailleurs à bas salaires. Ceux-ci ont gagné en pouvoir de négociation et ils s'en rendent compte. Pour les travailleurs migrants, leur usine ne représente rien. Ils n'ont rien, ni droit de résidence ni droit de propriété. Ils ne comptent pas comme citoyens", poursuit-il.

Dagongzhe ou l'ICO font partie de toute une industrie plus ou moins informelle de "l'intermédiation", bénévole ou pas, qui a prospéré dans le vide créé par l'absence de contrepoids aux abus perpétrés par les employeurs : l'All China Confederation of Trade Union (ACFTU), la centrale syndicale officielle, est absente des entreprises privées et il n'existe pas de cadre pour la tenue de négociations collectives en Chine.

"Vous avez une centaine d'organisations de défense des droits du travail en Chine, mais la moitié sont dans la province du Guangdong et à Shenzhen. Il y en a très peu dans le détroit du Yangze, à Shanghaï", explique Liu Kaiming, qui, fort de son expertise, prévoit d'ouvrir des bureaux à Shanghaï et Xiamen.

C'est aussi à Shenzhen qu'on trouve des cabinets d'avocats spécialistes des droits sociaux comme celui de Zhou Litai, expert en accidents du travail, qui a dû poursuivre en justice des clients qui avaient gagné leur procès mais omis de régler ses honoraires.

Parce qu'ils sont loin de pouvoir se payer les services d'un professionnel, certains migrants font appel à des gongmin daili, des "conseillers des citoyens". On en compterait près de 2 000 à Shenzhen et dans sa région.

Nombre d'entre eux sont d'anciens ouvriers : venu du Jiangxi, Li Jinxin, 29 ans, travaillait dans une usine de Shenzhen quand il a découvert Dagongzhe. "J'allais lire dans leur centre. Je me suis dit que je pouvais les aider. J'ai commencé à assister les gens dans leurs démarches", dit-il. Depuis un an, il a ouvert un bureau de gongmin daili, auquel Huang Qingnan devait également s'associer.

Un autre partenaire, Duan Haiyu, 29 ans aussi, est diplômé en droit et assistant dans un cabinet d'avocats. Après l'université, il a trouvé un emploi dans une agence de recrutement qui faisait venir des paysans de la campagne. "Je me suis aperçu que l'agence prenait une commission sur le salaire des paysans sans le leur dire. J'en ai parlé, et je me suis fait licencier", explique-t-il. Il a cherché à s'impliquer dans une association qui aide les migrants, puis s'est mis à son compte comme gongmin daili. M. Li, qui débute, prend de 30 à 50 euros par cas, son partenaire, plusieurs centaines et 10 % de la compensation accordée au plaignant.

Tous deux ont été menacés à plusieurs reprises. "Avec la nouvelle loi, les employeurs se disent que leurs coûts peuvent augmenter, alors ils essaient de faire signer de nouveaux contrats. Ils nous accusent de donner des idées à leurs employés", dit Li Jinxin, qui a été kidnappé en octobre 2007, juste avant l'incident qui a mutilé Huang Qingnan. "Un type a appelé en disant qu'il cherchait le bureau. Je suis descendu, ils m'ont mis dans un minibus. Ils étaient six", raconte-t-il. Au bout d'une demi-heure, ses ravisseurs l'ont mis à terre et battu. Résultat : une jambe et un bras cassés.

La police soupçonnerait l'un des patrons d'usine d'être derrière l'attaque. Li Jinxin est plus circonspect. Les gongmin daili gênent un système où tout est fait pour neutraliser les revendications des employés : "Un ouvrier qui a un problème doit aller au comité de quartier. On sait que le personnel est formé pour les décourager d'engager des procédures", dit-il. L'administration locale est au service des résidents originels des villages qui ont formé Shenzhen : ils sont 10 % de la population, mais reçoivent, comme des actionnaires, un revenu des entreprises qui y sont implantées.

Récemment, les gongmin daili ont trouvé une liste noire de "travailleurs à ne pas employer" dont ils savent qu'elle a été établie par le bureau du travail de Longgang, censé favoriser l'emploi.

Brice Pedroletti
Article paru dans l'édition du 10.01.08.

 

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